Horloge biologique

 

- Vous avez 35 ans, votre horloge biologique tourne, après comme les autres femmes, vous viendrez pleurer. Vous devriez penser sérieusement à la maternité avant qu’il ne soit trop tard.

 

Je l’insulte cette vieille bique aigrie ménopausée en blouse blanche derrière son bureau ?

 

Elle est sèche. Sa voix âpre et acide percute le plateau lisse de son bureau, y ricoche et nous frappe. Elle nous happe réveillant une indescriptible douleur, une rougeoyante couleur qui siège entre nos côtes, dans le vif de nos entrailles.  Je voudrais te soulever mon corps, grimper sur ce luxueux bois dont je ne connais l’essence, me dresser et la gifler.

 

Lui dire que toi, mon corps, tu n’es qu’à moi, tu n’es pas convoi de marchandise humaine, et qu’aucune horloge, aussi biologique soit-elle, ne déterminera si nous devons ou pas devenir mère. Allons-nous abandonner à la parole de la médecine, cette intime marge de manœuvre, lui laisser dicter l’œuvre que nous avons à mener ?

 

Dans chaque recoin, dans chacune des diverticules de nos chairs, nous savons que notre temps, n’a pas sonné. Est-ce une fin en soi ? Qu’est-ce cette horloge ? Pourquoi toujours à la maternité cet éloge ?

 

Être soi dans ce monde, se supporter, n’est-ce déjà assez ?

 

Comprend-elle que depuis ce jour, enfermée dans cette salle de bain à observer la tache maculant pour la première fois notre culotte, je te déteste mon corps, d’avoir fait de moi une femme.

 

Il parait que la douleur est normale. La douleur est notre règle, à nous, femmes. Pauvres filles d’Eve chassées de l’Eden, pour nous la douleur est légitime.

 

J’ai eu assez de te saturer d’ibuprofène mon corps, assez de ces flots de sang.

Alors je triche. Pire, je l’ai décidé, je tricherai tant qu’aucun de ces gynécologues ne prendra au sérieux ces atroces maux qui chaque mois en deux te tordent, te vrillent accompagnés de leurs escortes d’abondants flux.

 

Oui je triche.

 

Peu m’importe si je détraque la machine. Je veux pour toi mon corps une vie normale, éloignée de ces journées allongées sur le lit en chien de fusil, bouillote sur bas ventre et cuisses.

 

Féminité de merde !

 

Alors toi la vieille fripée, TA GUEULE ! ne me parle pas de mon horloge biologique.

 

Chaque mois j’avale non-stop mes plaquettes de pilule pour supprimer ces horribles règles, je ne veux connaitre ni sang ni chairs meurtries. Je louvoie avec mes ordonnances et avec les pharmaciens pour ne plus mettre mon utérus aux abois.

 

Alors, toi, la donneuse de leçons à qui j’ai encore une fois quémandé un traitement pour ces putains de règles douloureuses, toi, qui m’as répondu « il est tout à fait normal d’avoir mal au ventre pendant le cycle » et bien, tu sais quoi ?

 

Et bien poliment, tendrement, sincèrement mais puissamment et profondément : JE T’EMMERDE ! oui JE T’EMMERDE ! 

Avale-la l’horloge, le carillon et la pendule aussi, et n’oublie pas les aiguilles !

 

Pour de vrai ? J’aimerais en avoir le courage, les couilles et les ovaires. Mais non. Je ne dis rien de tout cela, même si les mots me brûlent l’arrière des lèvres, je ne dis RIEN.

 

Je reste sagement assise derrière le bureau. Je tends la main pour récupérer mon ordonnance. Une fois de plus, je tricherai et une fois l’ordonnance épuisée je me trouverai un nouveau médecin, espérant tomber sur une gynécologue empathique ou comme moi, en souffrance menstruelle.

 

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Aujourd’hui l’endométriose est enfin reconnue. Le milieu médical est parfois maltraitant et la pression de la société au sujet de la maternité dans ce monde pourtant détraqué où il n’y a qu’un avenir sombre à offrir à des enfants (pardon mon amour, ma fille...) est oppressante. 

J'avais envie de ce texte pour dénoncer et pour dire aussi que beaucoup de choses pourraient trouver une réponse dans l'écoute et le respect (Il a fallu que j'attende d'avoir 40 ans pour que cette foutue endométriose soit opérée et qu'on me dise qu'à cause d'elle, je n'aurais jamais du devenir mère... bref j'emmerde les horloges )